26/04/2023
Restauration commerciale : la certification bio à la peine
Seulement 211 restaurants affichent le label Bio en France. Et ce, malgré un cahier des charges simplifié en 2020 permettant une certification à 3 niveaux.
Article écrit par Nelly Rioux.
Peut-on parler d’un échec? La certification bio des restaurants a bien du mal à prendre. Lancée en 2012 et reformatée en 2020, elle n’est pas parvenue à convaincre les restaurateurs qui introduisent souvent des produits bio dans leurs recettes et dans leur cave. Au 15 février 2022, l’Agence Bio enregistrait 211 restaurants labellisés. De même, les approvisionnements bio de la restauration sont en diminution bien que leur distribution soit de mieux en mieux organisée (lire encadré). Après un pic en valeur en 2019 (251 M€ HT), les achats bio de la restauration commerciale sont retombés à 215 M€ HT en 2020 et à 232 M€ HT en 2021 (1), soit 1,67 % de ses achats alimentaires (2) . « Le paradoxe c’est que les consommateurs plébiscitent les restaurants bio et souhaitent en trouver davantage. En 2019, l’une de nos études (3) montrait que 78 % des Français souhaitaient plus de bio en restauration » indique Julien Picq, chargé de mission Restauration Hors domicile à l’Agence Bio, l’organisme auprès duquel doivent se déclarer les restaurants bio lorsqu’ils veulent obtenir le label. « C’est dommage car la démarche met en avant des pratiques plus vertueuses auxquelles les convives sont sensibles. Nous sommes convaincus que l’évolution va se faire graduellement avec les enjeux que notre société doit relever sur le plan environnemental » poursuit-il.
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Trop compliqué, trop cher ?
Pour Bastien Boissonnier, chargé de projets filières au Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes, région qui compte le plus grand nombre de restaurants labellisés bio avec une cinquantaine d’établissements majoritairement en catégorie 3 (au moins 95 % d’ingrédients bio), « il y a une tendance au verdissement des cartes avec une mise en avant du végétal et du local. Si la majorité des restaurants utilisent encore trop peu de bio, certains en introduisent régulièrement. Mais on constate qu’il reste encore pas mal de freins avant de franchir le cap de la certification. Le cahier des charges a été simplifié en 2020 pour certifier des restaurants partiellement bio, mais l’administratif peut faire peur aux restaurateurs qui estiment avoir peu de temps. Par ailleurs, la démarche est payante car il y a deux contrôles par an par un organisme agrée [n.d.l.r: environ 500 €], ce qui peut être un frein ». Il constate que ce sont généralement des nouveaux concepts qui s’engagent dans la démarche. « Ce sont pour la plupart des restaurateurs engagés qui dès le départ n’imagineraient pas travailler autre chose que des produits bio. Pour eux, c’est un vrai engagement environnemental, de santé et de qualité » analyse-t-il.
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Dominique Bry qui dirige La Table du Caviste Bio à Paris, se considère lui aussi militant, pour autant il ne veut pas souscrire au label. « 100 % de mes vins sont bio et près de 80 % de mes matières premières le sont aussi » explique-t-il. « C’est beaucoup trop contraignant, la démarche est complexe et je n’ai pas le temps. Mes factures sont chez mon comptable et il faut les produire. De toute façon mes clients me font confiance et savent que chez moi ils vont manger bio. Nous expliquons avec quels producteurs nous travaillons et la carte apporte un complément d’informations. J’ai déjà le label FIG (Food Index for Good), le label écoresponsable valorisé par le site The Fork, mais je ne suis pas certain de continuer car personne ne le connaît et il est aussi très contraignant » dit-il. Il reconnaît que faire du bio est loin d’être simple, ne serait-ce que parce que les produits coûtent 15 à 20 % plus cher par rapport à des produits conventionnels. Bastien Boissonnier indique pour sa part que la prévalence du végétal (légumineuses, etc.) et la diminution de la part des protéines animales sur une carte bio permettent de contenir le coût ainsi que la réduction du gaspillage.
Améliorer la communication
À Lyon (69), Trattino est l’un des plus grands restaurants bio de France [n.d.l.r: avec Le Magasin Général de Bordeaux]. L’enseigne est même arrivée à la 3e place du très convoité Prix du Meilleur restaurant Bio européen organisé par la Commission Européenne à l’occasion de la Journée européenne du bio en septembre 2022.
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Davide Fontana a créé ce concept avec son frère en 2018. Il était alors incubé à La Commune (69). Depuis, Trattino s’est installé du côté de Gerland (21) dans un ancien garage pour poids lourds et le concept cartonne! Davide est un passionné pour qui la labellisation ne pouvait pas se discuter. « Trattino est un tiers-lieu entièrement dédié à l’éco-alimentation responsable dont le bio est l’un des maillons » explique-t-il. Car pour ce jeune chef d’entreprise les valeurs fondatrices de son concept reposent aussi sur le local, l’équitable et le zéro déchet. Trattino réalise de 300 à 500 couverts par jour dans un espace labellisé niveau 3 par Ecocert qui compte aussi un magasin et un bar à cocktail.
« Le label nous semblait incontournable car il apporte une forme de garantie à nos clients, même si aujourd’hui ils sont noyés sous les labels, ce qui à mon avis le banalise » analyse-t-il. Pour lui, ce sont les habitudes de la profession et son manque de transparence qui pourraient expliquer l’échec de la certification. « Franchement, je pense qu’on ferait mieux d’expliquer le problème en prenant une pomme bio d’un côté et une pomme conventionnelle de l’autre en disant que cette dernière subit 35 traitements chimiques… La communication doit être améliorée ». Pour autant il ne remet pas en cause sa labellisation car « elle fait partie de notre démarche même si elle est contraignante. Les contrôles sont identiques à ceux d’un contrôle fiscal puisqu’en fonction du nombre de portions servies, des gnocchis par exemple, le contrôleur va vérifier que mes achats de pomme de terre sont conformes avec la fiche technique et le chiffre d’affaires réalisé sur ce plat. Nos valeurs sont des contraintes mais ce sont ces contraintes qui sont la fondation même de ce que nous avons construit chez Trattino ». Son seul regret? « Devoir payer 1500 € par an pour l’ensemble de l’établissement [n.d.l.r: restaurant, bar et vrac de la boutique], alors qu’une formule de type “pollueur-payeur” me semblerait plus constructive et encouragerait les bonnes pratiques pour notre planète et pour la santé humaine ».
APPROVISIONNEMENTS EN BIO: ILS SE STRUCTURENT…
Si les principaux distributeurs de produits alimentaires se sont tous organisés pour proposer une offre bio facilement accessible aux restaurateurs, ce sont surtout les réseaux constitués par des associations interprofessionnelles (Cluster Bio, Manger Bio, InterBio…) qui sont capables d’offrir des plateformes regroupant l’offre bio des producteurs. « Néanmoins, nos structures se sont davantage organisées pour fournir la restauration collective plutôt que la restauration commerciale même si certaines d’entre elles fournissent ce segment de marché » explique Eric Grunwald, coordinateur national du réseau Manger Bio, « les conditionnements, les quantités et le type de produits ne sont pas toujours adaptés à la restauration commerciale, il n’y a pas d’intérêt pour un restaurant commercial à s’approvisionner en coquillettes bio par exemple ».
Eric Grunwald regrette aussi que le bio soit aujourd’hui concurrencé par la mention HVE (Haute Valeur Environnementale) et « surtout la notion de local qui est loin d’être toujours bio ». Il reconnaît que les hausses de prix ont été moins significatives en bio « puisque par définition il n’y a pas d’intrants chimiques qui ont largement contribué à renchérir les prix des aliments, et des coûts limités de transport puisque l’on est la plupart du temps sur du local ou des circuits courts ».
Trattino a recours à Bio A Pro qui fait partie du réseau Manger Bio. « C’est la coopérative des producteurs bio du Rhône et de la Loire » explique Davide Fontana, le cofondateur du concept lyonnais qui fait un tabac sur l’agglomération. « Travailler en direct avec elle nous permet d’avoir des prix lissés sur l’année car chaque partie s’engage à acheter ou à vendre toute l’année. Je vais peut-être acheter mes pommes de terre un peu plus cher en début de saison car il y en aura moins mais je vais les payer moins cher ensuite car on sera en pleine récolte. Suivre les saisons et bien rémunérer les producteurs font partie de notre philosophie et c’est un pas de plus vers un cercle vertueux ».
A retrouver dans sa version intégrale
dans le Magazine #9 de Restauration21
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