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27/11/2009

La capacité d’influencer les choix des consommateurs

Ecrit par Caroline Desplats (Master 2 Développement durable et Organisations), ce texte s’inscrit dans le prolongement de la réflexion celui intitulé la Carte durable et publié dans la rubrique Idées. Il est extrait d’un devoir rédigé dans le cadre du cursus mentionné précédemment. Sa problématique n’engage que son auteur.

 

Consommateuts
 

Le rôle du consommateur est capital. Arbitre final, il a le pouvoir de boycotter des produits, d’en plébisciter d’autres, de créer des systèmes d’achat alternatifs et (…) de faire évoluer toute une filière. Devons-nous aujourd’hui le considérer comme passif, prisonnier, ou acteur de ce système ? Nous allons voir maintenant qu’il dispose d’une palette de moyens variés pour faire évoluer l’offre alimentaire.

 

·     Le pouvoir du consommateur : l’arbitrage final

Rôle et évolutions du consommateur

Le pouvoir du consommateur existe : consommer.

Chaque consommateur peut user de son pouvoir économique pour manifester son soutien ou son désaccord vis-à-vis des pratiques des entreprises en achetant des produits ou en en boycottant d’autres. La « consommation engagée » traduit ainsi la volonté des citoyens d’exprimer directement à travers leurs choix marchands des positions militantes ou politiques. 44% des français disent tenir compte des engagements de citoyenneté des entreprises lorsqu’ils achètent un produit.[1] S’il reste difficile, au-delà des déclarations de mesurer précisément les actes qui relèvent de la consommation engagée, sans aucun doute celle-ci fait aujourd’hui partie intégrante des répertoires d’action de la contestation sociale.

Si les pratiques déclarées en matière de consommation engagée sont aujourd’hui en augmentation, la consommation en tant qu’espace de contestation sociale, n’est pas un phénomène nouveau. Les mobilisations autour de la consommation apparaissent dès la fin du XVIIe siècle et se développent au tournant du XXe siècle. Elles donnent lieu à des répertoires inventifs très hétérogènes. Les boycotts y tiennent toutefois assez rapidement un rôle central. Elles sont aussi souvent accompagnées de ce que l’on n’appelait pas encore le « boycott », qui consiste à orienter ses achats vers certains produits ou certains magasins au nom de la défense d’une cause. D’autres registres sont également mis en œuvre : les manifestations dans les rues, les piquets devant les magasins ou les grèves du zèle de consommateurs (actions qui consistent en l’installation prolongée de consommateurs dans des lieux de restauration commerciale), ou même la prise en charge des activités commerciales par les consommateurs eux-mêmes.

La progressive institutionnalisation de la représentation des consommateurs s’est ainsi réalisée par la création de bureaux de la consommation dans les administrations, de services marketing dans les entreprises et d’association consuméristes.

Au cours des années 1960 et 1970 les bases du consumérisme moderne se mettent en place, avec la création d’associations qui s’attachent à défendre les intérêts des consommateurs dans des rapports organisés avec l’Etat et les firmes. En France, l’Etat a soutenu les associations de consommateurs à la fois en leur accordant des subventions et en institutionnalisant leur prise de parole dans différentes instances comme l’Institut National de la Consommation crée en 1967. Les associations s’attachent à lever les obstacles qui gênent la libre concurrence et à contribuer à l’information des consommateurs. Elles travaillent à construire une rationalité économique pour le consommateur individuel afin de déjouer les fraudes et les pièges du marché.

Aujourd’hui, la notion de consumérisme moderne renvoie à la défense des intérêts individuels des consommateurs dans l’espace marchand. Le consumérisme comme régime de régulation par les mouvements de consommateurs s’est effacé devant une nouvelle notion de consumérisme fondée sur le choix, la concurrence et l’expansion des marchés.

Les mobilisations autour de la responsabilisation des consommateurs sont aujourd’hui au cœur des démarches militantes d’autres mouvements – les associations environnementalistes ou de défense de la justice sociale – qui trouvent dans la mobilisation des consommateurs le moyen d’inviter les sociétés, au tournant des années 1990, à une plus grande réflexion sur les désordres collectifs produits par les choix individuels.

Organisée collectivement ou fruit de choix individuels, les résultats de la consommation sont là en 2009: la seconde édition du rapport « Les chiffres de la consommation responsable» (ADEME, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 2009) vient confirmer que les offres plus respectueuses des personnes et de la planète affichent une croissance à deux chiffres, toujours supérieure à celle de leur marché de référence. Par exemple, sur le marché de l’épicerie les produits Bio affichent une croissance de leurs ventes de 27.3% lorsque le marché est à +3.5%.[2]

 

Evolutions récentes dans le champ de l’alimentation respectueuse de l’environnement

Nous pouvons noter un certain nombre d’évolutions des attentes et comportements des consommateurs au cours des deux dernières décennies.

  Le consommateur se préoccupe non seulement de ce qu’il a dans son assiette, mais aussi de ce qui se passe dans les champs et bâtiments d’élevage.

  Les questions portent en la matière non seulement sur le produit lui-même, mais aussi sur les conditions de son élaboration.

  Le consommateur s’interroge sur certains modèles de production mis en cause

lorsqu’interviennent des accidents qui portent atteinte à l’environnement.

 

L’environnement n’est donc plus seulement affaire d’écologie, sa protection est devenue l’une des exigences de la qualité alimentaire.

D’ailleurs, dans une récente enquête, les consommateurs européens plébiscitent en grande majorité une offre alimentaire plus respectueuse de l’environnement. A la question « parmi les types de produits ou services que vous achetez, quels sont ceux spécifiquement que vous voudriez voir devenir plus respectueux de l’environnement et responsables socialement ? », ils répondent :[3]

1°) nourriture et boissons: 32%

2°) automobiles/transports: 22%

3°) essence et gazole: 15%

Et si les ventes de produits Bio s’envolent[4], ce n’est pas la résultante des stratégies du couple grands groupes alimentaires/grande distribution, ces produits sont plébiscités par les consommateurs, ce qui profite le plus souvent à de petits fournisseurs. D’ailleurs, l’offre est insuffisante pour répondre à la demande, ce qui oblige la France à importer. Du coup, les grands s’y mettent. Il s’agit bien là d’un exemple où les consommateurs font évoluer le marché.

D’ailleurs, pour l’ADEME, entre les « innovateurs » et les « inaccessibles », l’adoption par la majorité des consommateurs est le levier capital pour un marché écologique de masse.

 

·     Les moyens d’agir du consommateur responsable

Avant d’arriver dans notre assiette, un produit est cultivé, transformé, conservé, emballé, transporté et, à toutes ces étapes, émet des GES. Quand on sait qu’un seul pot de yaourt à la fraise peut parcourir plus de 9 000 kms[5] si l’on additionne le trajet parcouru par chacune des matières premières jusqu’au magasin, sans compter le trajet parcouru par les acheteurs de leur domicile à leur magasin, puis celui effectué jusqu’à la destruction des déchets. On imagine bien l’impact que toute notre alimentation peut avoir sur la planète.

La sensibilité aux problématiques environnementales est toutefois inégalement répartie entre les différents consommateurs et selon les pays. En France, les pratiques de diminution de la consommation énergétique sont bien répandues alors que les achats « verts » (par exemple produits issus de l’agriculture biologique, ou produits à faible emballage) sont seulement en phase d’émergence.

Les mobilisations des consommateurs peuvent prendre les formes militantes évoquées précédemment de manière exceptionnelle, mais elles relèvent le plus souvent soit du boycott soit du boycott, pratiques d’achats orientées vers des produits ou des fournisseurs dont les propriétés environnementales sont garanties.

Pour adopter une alimentation plus respectueuse de l’environnement, le consommateur dispose d’une palette de moyens divers. Il a la possibilité de modifier les aliments qu’il consomme, leur répartition, leur moment de consommation, ou leur lieu d’achat, ce qui correspond à du boycott, ou de réduire voire supprimer la consommation de certains produits, ce qui est une forme de boycott individuel. Nous pouvons proposer de classer cette palette de moyens selon trois répertoires :

  Consommer différemment, choisir mieux ses produits :

  Limiter la consommation

  Acheter différemment : intégrer des systèmes de commercialisation alternatifs

 

Consommer différemment, choisir mieux ses produits

 

Des produits biologiques

Cultiver et manger bio permet de réduire notre impact environnemental puisque l’agriculture biologique consomme moins d’énergie que la conventionnelle, émet moins de protoxyde d’azote, et ne contamine pas nos sols (en France, 97 % des rivières sont contaminées par des pesticides[6]). Pour les produits Bio, le producteur utilise peu ou pas d’engrais azotés de synthèse et de produits phytosanitaires.

De plus, l’agriculture biologique séquestre davantage de carbone dans le sol sous forme d’humus.

On peut aussi privilégier les produits issus de l’agriculture raisonnée. Moins exigeante que l’agriculture biologique, l’agriculture raisonnée peut être une bonne alternative. Elle impose entre autres de limiter l’usage de produits engrais et pesticides, d’économiser les ressources en eau et de pratiquer le tri des déchets. Mais il n’existe pas de label pour identifier les produits provenant de cette agriculture.

C’est sans doute en changeant nos habitudes alimentaires que nous pouvons le plus facilement et le plus rapidement diminuer notre contribution à l’effet de serre.

 

Moins de viande, plus de céréales et de légumes

Le changement prioritaire est de réduire notre consommation de viande : manger 1kg d’agneau ou de veau contribue autant à l’effet de serre que parcourir 200 kms avec une voiture moyenne.

La consommation de viande en Europe a plus que doublé depuis 1960. Et les autres pays se mettent à suivre ce modèle. Or, la production d’une calorie de steak d’élevage intensif nécessite environ 10 fois plus d’énergie qu’une calorie de céréale. De plus, les animaux d’élevage, et en particulier ovins et bovins, émettent une forte quantité de méthane.

On peut éviter de consommer de la viande à chaque repas et donner plus de place aux légumineuses (lentilles, pois) et céréales. La combinaison de ces deux types d’aliments remplace les protéines de la viande.

Si nous mangions moins de viande, nos élevages européens pourraient redevenir extensifs et le bétail pourrait se nourrir d’herbes de pâturage de nos montagnes et marais, au lieu d’un soja cultivé sur les cendres de la forêt amazonienne, à l’autre bout de la planète.

 

S’il faut 1100 litres d’eau pour produire 1 kg de blé, il en faut 2700 pour produire 1 kg d’œufs et 13 500 pour fabriquer un kg de viande. Ce graphique montre la différence d’impact en ressource eau des aliments que nous consommons :

 

 

C’est en période de pénurie d’eau que cette illustration prend tout son sens. Durant l’été 2005, alors que 3800 kms de cours d’eau étaient à sec, 73 départements français dont pratiquement tous ceux situés à l’ouest d’une ligne Le Havre – Nîmes, ont dû fortement restreindre leur usage en eau. Avec la raréfaction de l’eau dans le monde, il va falloir apprendre à raisonner en intégrant ce concept d’eau virtuelle. L’un de ses prolongements consiste en la notion « d’emprise sur l’eau ».[7] Cette notion constitue l’indicateur utile de la pression exercée sur les ressources hydrique de la planète. Au total, un mangeur de viande utilise 4000 litres d’eau par jour, tandis qu’un végétarien n’en utilise que 1500.

 

Local et de saison

Les produits locaux et de saison réduisent le recours à la consommation d’énergie des serres. Par exemple, une tomate cultivée hors sol en hiver est élevée avec 100 fois plus d’énergie qu’elle n’en contient.

Il vaut mieux privilégier les achats de proximité, la vente directe et les circuits courts. Par exemple, le transport du concentré de jus d’orange destiné au seul marché allemand consomme 40 millions de litres de carburants et émet plus de 100 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. La solution est de favoriser la production de jus de fruits ou sirops locaux.

Consommer des produits locaux et de saison permet ainsi de réduire les émissions dues au transport par camion et par avion, ainsi qu’au chauffage des serres.

 

Des produits à impact environnemental réduit

Limiter l’« operculophilie », le suremballage, c’est minimiser les émissions de GES qui leur sont associées au niveau des déchets, mais aussi des transports et de l’énergie produite pour les fabriquer.

Choisir des contenants moins énergétivores et recyclables : recycler une canette économise 75 % de l’énergie nécessaire à la fabriquer.

 

 

Limiter la consommation

Si une nouvelle répartition des produits consommés concourt à la réduction de notre empreinte environnementale, l’enjeu est celui de l’autolimitation des besoins matériels de la part des nantis, « la capacité de s’interroger assez, c’est combien ? »

Cette réflexion d’Ignacy Sachs montre le rôle central de l’individu dans le changement de modèle de consommation, nécessaire à la préservation de nos ressources limitées, afin de satisfaire les besoins de tous, sur le long terme, et de façon équitable.

La critique de la consommation de masse n’a jamais cessé d’accompagner le développement de la consommation elle-même. La revendication d’une contre-culture marchande peut s’exprimer de différentes façons, sur le marché lui-même au moyen du boycott par exemple, en dehors du marché lors de manifestations, ou sous toute autre forme de résistance, qu’elle soit individuelle ou collective.

 

Simplicité volontaire et résistance à la consommation existent depuis longtemps

Dès le XVIIe siècle, alors que les premières techniques de vente et de publicité se mettent en place, des mouvements religieux prônant l’ascétisme tentent de s’opposer à ce qu’ils perçoivent comme espace d’investissement politique. Plus tard, dans les années 1930, la critique met en cause le pouvoir des commerçants et se manifeste par une série de boycotts. Les années 1950 et 1960 furent ensuite le théâtre d’une importante critique contre la consommation et produisit des communautés résistantes à la consommation de masse comme celles des hippies.

Depuis le début des années 1990, la critique de la consommation est reprise par le courant alter mondialiste qui met en cause le pouvoir des multinationales et, au-delà les désordres sociaux causés par la globalisation des marchés. Les différentes manifestations ont donné un écho important à cette cause et rendu visible la diversité de ses soutiens.

 

En France, l’association Action Consommation propose une offre militante fondée sur une connaissance des fonctionnements économiques, ce qui lui permet de dénoncer aussi bien les pratiques des entreprises que les insuffisances de la régulation publique. Cette association fut créée en 2001 par des membres engagés dans divers réseaux militants comme l’écologisme, la décroissance, le commerce équitable avec la volonté d’inscrire les questions de consommation au cœur des débats alter mondialistes. Action Consommation met en œuvre un répertoire large d’actions fondé sur trois registres principaux : l’éducation du consommateur, son engagement dans des formes d’échange alternatives et sa mobilisation dans des campagnes d’action contestataires. Chaque adhérent peut définir son niveau d’engagement depuis l’organisation de ses propres pratiques de consommation en s’appuyant sur les ressources de l’association jusqu’à son engagement dans des actions militantes collectives comme des manifestations. Malgré sa petite taille, l’association bénéfice aujourd’hui d’une certaine notoriété dans les réseaux en raison de sa forte expertise.

Les mouvements de simplicité volontaire, plus récents, insistent sur les risques environnementaux qui découlent des activités humaines. L’idée consiste à réunir des petits collectifs de six à dix personnes s’entraidant pour la simplification de leur mode de vie. Deux objectifs principaux sont visés : la réduction de la consommation et celle du temps de travail.

L’économiste Juliet Schor, profeseur au Boston College considère en 1998 que 20% des américains seraient des « downshifters », le « downshifting » correspondant à l’idéologie de diminution de la consommation. Aux Etats-Unis, le mouvement de la simplicité volontaire permet de produire une prise de conscience individuelle des consommateurs; il ne fournit pas de cadrage débouchant sur des actions collectives.

En France en revanche, le mouvement pour la décroissance est articulé avec la communauté intellectuelle. S’appuyant sur les théories développées par l’économiste roumain Nicolas Georgescu-Roegen[8] qui montre que le progrès technologique entraîne l’augmentation absolue de la consommation de ressources naturelles en quantité finie, l’économiste Serge Latouche développe à la fin des années 1980 le principe de décroissance. Le concept de décroissance abandonne l’idéal de la croissance pour lui substituer un principe de récession généralisée, seul capable de prémunir l’humanité des risques environnementaux (réchauffement climatique, épuisement des ressources), sociaux (développement des inégalités) et politiques (rupture entre gouvernants et gouvernés). Les réflexions théoriques s’accompagnent de différentes prescriptions diffusées dans des publications qui proposent des modes de vie mettant en œuvre le principe de modération. Entre action individuelle et action politique, le mouvement favorise la construction de réseaux, lieux de diffusion d’expériences concrètes. Les réseaux de décroissance disposent aujourd’hui d’une forte capacité de visibilité dans l’espace social et provoquent d’âpres discussions. Ils commencent à intéresser les politiques et le patronat.

En parallèle des mobilisations collectives se développent aujourd’hui des formes de résistances plus diffuses. Les résistances ordinaires des consommateurs peuvent prendre des formes diverses, systématiques ou non, définitives ou non telles que : ne plus acheter de produits néfastes pour l’environnement, ne plus acheter de produits cultivés sous serre, ne plus regarder la télévision pour échapper au matraquage publicitaire. Ces gestes peuvent avoir des motivations écologiques, mais aussi économiques ou éthiques.

 

Le boycott environnemental

Le mot boycott dans son sens actuel existe depuis 1880 pour décrire un acte de désengagement économique du consommateur en réponse à ce qu’il juge comme défaillance des entreprises. Le consommateur peut décider de cesser d’acheter des produits et ainsi choisir la voie de la défection ou d’exprimer directement son mécontentement auprès de l’entreprise. Si la défection renvoie à l’action économique et la prise de parole à l’action politique, il existe une pluralité de combinaisons entre actions sur les marchés et action dans l’espace politique. Le boycott se situe à l’intersection entre marché et politique car il vise autant à contraindre les firmes sur le plan économique qu’à les stigmatiser dans l’espace social.

Les boycotts avaient pour motivation au début du XXe siècle des revendications sociales ou économiques.

Plus récemment, en pleine crise de la vache folle, l’UFC lance un appel au boycott des produits britanniques pouvant contenir de la gélatine de bœuf, crise à la frontière des questions sanitaires et environnementales.

Les boycotts autour de la protection de l’environnement sont aujourd’hui l’un des thèmes majeurs des appels aux boycotts internationaux.

 

La lutte contre le gaspillage, une véritable solution

Des quantités importantes de nourriture sont perdues au cours de leur transformation et de leur transport, mais aussi dans les foyers. Les citoyens jettent beaucoup d’aliments. Ainsi en Grande-Bretagne, un rapport remis au premier ministre en juillet 2008 (Strategy Unit, Food Matters, Towards a strategy for the 21st century, July 2008[9]) estime qu’un tiers de l’alimentation achetée serait jetée, l’essentiel étant encore consommable. Le gaspillage final est évalué à 500 euros par an et par foyer, soit 4,1 millions de tonnes de nourriture jetée.

Par « gaspillage » on entend l’action qui consiste à utiliser une ressource de manière non rationnelle ou à mauvais escient, entrainant la déperdition d’un bien ou service produit pour ne satisfaire aucun besoin.

Ce schéma montre la part importante des pertes alimentaires dues au gaspillage au niveau de la distribution et des ménages.

 

 

 

 

En France, on ne dispose pas de telles données, les gaspillages à la distribution et à la consommation sont peu connus mais réels.

Tout d’abord les dates de péremption sont mal comprises : peu de personnes font la différence entre date limite de consommation (DLC) et date limite d’utilisation optimale (DLUOP). La première concerne les produits frais qui peuvent présenter un réel problème microbiologique, la seconde concerne les produits d’épicerie, conserves ou surgelés et ne rapporte qu’à la conservation des qualités organoleptiques. On jette ainsi par prudence en respectant une règle mal comprise, quantité de produits qui pourraient être encore consommés.

Les ménages achètent souvent trop, cuisinent trop et ont perdu l’habitude de cuisiner les restes. En témoigne la création des Freegans, mouvements de récupération qui se nourrit dans les bennes à ordures, qui agissent non par besoin de survie mais par refus de la société de consommation.

L’extension de ces pratiques ne pouvant être une réponse collective au problème du gaspillage, seule peut être efficace une prise de conscience élargie pour une  modification des comportements de l’ensemble des acteurs.

Chez nos voisins britanniques la lutte contre le gaspillage est devenue une priorité. La presse britannique a ainsi repris le rapport de la Strategy Unit rappelant que les objectifs de réduction du gaspillage alimentaire équivalent à ôter une voiture sur cinq des routes du Royaume-Uni et Gordon Brown s’est impliqué personnellement, demandant aux distributeurs de cesser les offres de type « 3 pour le prix de 2 », générant des achats d’impulsion provoquant 20% des causes de gaspillage.

Les progrès techniques et la baisse continue des prix ont réduit la valeur non seulement marchande mais aussi symbolique de l’alimentation. Considérer le gaspillage comme anormal est une notion à redécouvrir individuellement et collectivement.

 

 

Acheter différemment : intégrer des systèmes de commercialisation alternatifs

Le mouvement coopératif s’est développé avec l’objectif de contourner le marché. Il s’agissait de lutter contre le pouvoir des marchands souvent suspectés de fraudes. La coopérative devait à la fois fournir une offre de qualité et orienter les consommateurs vers une consommation raisonnée. Ces idées animent toujours les coopératives de consommation contemporaine. Elles gardent également l’idée de circuits marchands alternatifs appuyés sur des contrats spécifiques entre les magasins et des producteurs sélectionnés pour leurs engagements environnementaux ou sociaux, tels les magasins Biocoop.

Depuis les années 1990, aux côtés des coopératives de consommateurs se sont développées d’autres formes d’échanges alternatifs mobilisant les consommateurs autour d’objectifs collectifs. Les échanges qu’ils mettent en place ont souvent une vocation démonstrative ; il s’agit de montrer qu’il est possible de faire autrement.

Les échanges sont fondés sur des partenariats directs entre producteurs et consommateurs. La spécificité de ces systèmes est d’introduire l’idée d’une nouvelle forme de gouvernance des consommateurs dans l’organisation des rapports économiques.

Ces systèmes sont portés par des mouvements qui y voient le moyen d’y défendre une pluralité de causes : la défense de l’environnement avec l’argument que les produits voyagent moins, mais aussi la défense d’une agriculture paysanne et de pratiques plus respectueuses de l’environnement. Ces mouvements font en général l’hypothèse que la proximité entre ceux qui produisent et ceux qui consomment est génératrice de comportements plus soucieux d’éthique. Leur portée politique viendrait de leur capacité à responsabiliser les consommateurs quant aux effets collectifs de leurs choix individuels sur l’environnement.

La réalité des mouvements des circuits courts est difficile à apprécier. En France, l’outil de la statistique agricole n’y est pas adapté. Pourtant, la part de la production de ceux qui pratiquent de la vente directe tend à augmenter, constat qui met en évidence une professionnalisation de ce mode de valorisation de la production agricole par les producteurs.

Ces démarches sont souvent portées par des structures de développement agricole alternatives (syndicalisme paysan ou agriculture biologique) qui trouvent là un moyen efficace de contester la légitimité des structures dominantes.

De leur côté, les consommateurs s’engagent pour différentes raisons : trouver une offre de produits locaux, soutenir l’économie locale, militer pour la protection de l’environnement en soutenant une agriculture durable, ou considérer que ces produits sont meilleurs pour la santé. Derrière cette hétérogénéité se cachent des trajectoires spécifiques de consommateurs. Venus sur la base de motivations individuelles ils peuvent progressivement soutenir  des causes plus collectives. Il y a dans nombre de ces organisations disjonction entre les causes d’engagement des organisateurs et celles des consommateurs.

L’activisme de résistance des consommateurs est à la fois dynamique et diffus. Ces mouvements fournissent aux sympathisants des répertoires d’actions très variés qui vont de la résistance ordinaire et individuelle à travers des pratiques de consommation alternatives ou frugales à des formes d’engagement dans la vie publique.

Ces mouvements développent également des actions de groupe qui contribuent à donner une signature à la contestation. Les medias, les pouvoirs publics et les entreprises peinent aujourd’hui à cerner un mouvement qu’ils ne peuvent toutefois ignorer. Ces mouvements ont contribué à faire évoluer les normes de consommation vers plus de mesure et ont influencé la rhétorique sur la manipulation publicitaire. Mais ils rencontrent dans le même temps deux écueils. Le premier est la difficulté de rendre visible une base militante aux contours diffus, le second tient à la faiblesse du cadrage de mouvements qui ne s’organisent pas autour de revendications précises et négociables.

 

Ainsi, le consommateur dispose de nombreux moyens de réduire son empreinte environnementale, à travers une nouvelle répartition des produits consommés, des achats effectués directement auprès du producteur, et surtout la limitation de sa consommation. L’intégration de cette conscience environnementale prend diverses formes, par le biais d’actions collectives organisées, de l’adoption de comportements individuels définitifs ou non, et « d’actions collectives individualisées ».

Mais si comme nous venons de le voir, le consommateur a une réelle capacité d’influence sur le système, sa marge de manœuvre n’est-elle pas restreinte et manipulée par le système lui-même?

 

§  Les leviers influençant le comportement du consommateur

Comme nous venons de le voir, le consommateur a une transcendance sur son évolution, mais il est vrai aussi que le contexte l’influence. (…) Aussi fortement le modèle de consommation soit-il ancré dans notre société aujourd’hui, il paraît donc possible qu’il évolue.Nous nous demandons quels leviers peuvent influencer le comportement du consommateur pour une alimentation plus respectueuse de l’environnement.

 

Une meilleure place à l’offre et à l’accessibilité des produits plus respectueux de l’environnement

Une étude a été réalisée en février 2009 par Aegis Media Expert pour Ethicity avec pour objectif de décrypter ce qui se passe auprès des consommateurs afin de nous éclairer sur les leviers d’action potentiels des entreprises et des pouvoirs publics. Le constat est le suivant :

·     Les consommateurs « responsables » ne sont plus des « militants » puisque pour 74% d’ente eux, le sujet n’est plus de convaincre mais d’agir et de leur donner des moyens d’agir.

·     Le développement durable prend une plus forte intégration dans les modes de vie. Les français ont assimilé l’aspect multidimensionnel du développement durable et privilégient la prise en compte des enjeux environnementaux.

·     L’offre n’a pas suivi la demande, les consommateurs ont évolué plus vite que les entreprises.

Un réel travail d’accès à l’offre est à mener, pour rééquilibrer le fort différentiel entre demande et offre : ils sont en effet 51% à ne pas savoir où trouver des produits et services responsables.

Pour rétablir la confiance, les leviers de mobilisation sont divers et de plus en plus complexes à combiner, cependant 2 éléments essentiels ont été identifiés :

§  L’accessibilité, pour savoir où trouver des produits, et l’accessibilité prix pour permettre à tous d’acheter des produits « responsables ».

§  L’information, pour éduquer, diffuser les bonnes pratiques et montrer que consommer responsable n’est pas forcément plus cher.

 

Plus d’information, de transparence et de communication

« Le meilleur moyen de traiter les problèmes environnementaux est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés. Chaque individu doit avoir accès aux informations (…) et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision » : cette déclaration de Rio (1992) donne le rôle de l’information dans le processus de développement durable. L’information, outre aider à la prise de conscience, favorise les approches participatives. L’intérêt de la participation des parties prenantes aux processus de décision assure leur pérennité sur le long terme. D’ailleurs les Français demandent aujourd’hui plus d’information. 61,7% des français souhaitent disposer d’informations sur l’impact environnemental sur les étiquettes des produits.

 

Car pour que le consommateur puisse acheter responsable, encore faut-il que l’information soit disponible, visible et lisible, et pour cela qu’elle soit claire et harmonisée. Ainsi dans les pays nordiques, les achats verts sont très usuels ; en Suède par exemple le label Good Environmental Choice touche un consommateur sur deux. En France ils sont 58% à avoir confiance dans les labels.

 

Les labels écologiques

Les écolabels ont été créés afin d’apporter des garanties aux consommateurs en matière de qualité écologique des produits ou des services.

Il existe officiellement deux labels en France pour les produits issus de l’agriculture biologique :

  La marque « AB » : la marque Agriculture Biologique garantit que le produit contient au minimum 95% d’ingrédients d’origine agricole biologique.

  Le logo Européen « Agriculture Biologique » assure la même garantie, assortie de règles supplémentaires (régime d’inspection officiel, provenance directe du producteur ou du préparateur dans un emballage scellé, porte le nom du producteur ou du vendeur et le nom ou le numéro de code de l’organisme d’inspection).

 

Pour que les produits verts trouvent davantage de consommateurs, il faut non seulement les signaler grâce à la création de labels écologiques, mais aussi donner à la sensibilité environnementale des relais d’expression : des campagnes d’information des agences publiques, des associations militantes, et l’engagement des firmes.

Pour faire un parallèle dans le secteur des lessives, d’importants efforts de recherche et développement ont été menés par les industriels pour fabriquer des produits et des contenants plus respectueux de l’environnement. Mais aujourd’hui, le fabricant de la lessive la plus respectueuse ne peut tout simplement pas le communiquer car il n’existe pas d’indicateur sur le marché[10]. Si certains communiquent sur les vertus du lavage à froid pour l’environnement, il n’existe en réalité par de moyen de comparaison d’un produit à l’autre, il n’y a pas de normalisation.

S’il est probable que la mise à disposition auprès des consommateurs d’une offre plus large et plus accessible de produits respectueux de l’environnement, soutenus par des relais d’information et de communication clairs et transparents favorisera davantage d’achats responsables, cela suffira t-il à convertir la population à une alimentation écologique de masse ?

 

 


[1] Enquête du Credoc, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie,  décembre 2006

[2] Données panel distributeur IRI, évolution ventes valeur 2008 vs 2007

[3] Enquête Globescan research, 2008. Traduction personnelle anglais/français

[4] 77.3% des français ont acheté au moins  un produit Bio à fin juin 2008 (+5 points en un an) ; source : TNS Worldpanel, étude « le consommateur responsable », février 2009

[5] http://www.ademe.fr/particuliers-eco-citoyens

[6] Vasseur Philippe, La Révolution alimentaire, Hachette Littératures, 1997

[7] pour la mesurer il faut additionner les consommations réelles d’eau, au solde de consommation en eau virtuelle

[8] Georgescu-Roegen Nicolas, The entropy law and the economic process, 1971

[10] Source : interview Responsable Développement Durable Unilever, mai 2009

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