17/10/2016
Et si la vraie valeur de l’agriculture urbaine n’était pas dans les aliments qu’elle produit ?
La tribune d'Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies (premier cabinet français de conseil en développement durable, créé en 1993) et co-fondatrice de Graines de Changement.
Outre-Atlantique comme en France, l’agriculture urbaine est en plein développement : des villes comme Detroit, San Francisco, Rennes ou Paris encouragent leurs habitants à faire du compost et à planter des végétaux sur les toits, les terrasses et les terrains vacants. Les chefs ne sont pas en reste, d’Alain Passard et ses potagers dans la Sarthe au toit de l’hôtel Pullman et son potager de 600 m2 où poussent courgettes, aubergines, tomates, melon, figues, pommes, poires et romarin que l’on retrouve à la carte de son restaurant…
Pourtant le sujet fait débat : quels sont les vrais bénéfices sociaux ou environnementaux de ces pratiques qui se multiplient – des jardins familiaux ou partagés, des ruches sur les toits aux vignes urbaines, des façades végétalisées aux toitures-potagers, des champignonnières aux expériences de pâturage urbain ?
Lien social et gestion de projets
Selon une étude complète récente(1), on ne peut pas faire reposer légitimité de l'agriculture urbaine et son développement sur la seule l’idée qu’elle va nourrir la population croissante des villes demain, ou encore y créer des emplois. De plus, ses avantages écologiques posent question. Sur le premier point, il semblerait même que, sous plusieurs aspects, les produits alimentaires effectivement cultivés dans ces jardins soit au bout du compte leur moindre contribution. Une étude de la ville de New-York a montré que la mise en culture de tous les lots vacants ne permettrait de nourrir que 160 000 personnes sur les 8 millions d’habitants ! De manière réaliste, on peut dire que l’agriculture urbaine ne fera au mieux que produire des compléments de fruits et légumes frais, de façon peu onéreuse, ce qui est encore plus intéressant quand elle bénéfice à des populations défavorisées dont l’alimentation est pauvre en fruits et légumes. Ajoutons que des doutes subsistent encore sur les qualités nutritionnelles de ces produits, selon leur mode et leur lieu de culture.
Si un enjeu existe du côté des terres cultivables, il ne se situe pas au cœur des villes mais en zone péri-urbaine. Côté emploi, l’agriculture urbaine pourrait en effet fournir un complément de revenus à certains, faire réaliser des économies à d’autres… mais il est peu probable qu’elle représente un vivier de création d’emplois urbains à court ou moyen termes.
Un autre argument souvent évoqué, et moins contestable, concerne l’impact social de l’agriculture urbaine – notamment dans les quartiers défavorisés. De ce point de vue les études sont plus nourries : clairement, les jardins partagés développent le lien social, réduisent les tensions de voisinage et favorisent l’intégration des communautés. Plus largement, les initiatives d’agriculture urbaine ont aussi de vraies vertus pédagogiques, notamment auprès des jeunes, sur la protection de l’environnement et l’alimentation. Et c’est encore plus intéressant lorsque cela se produit dans des communautés défavorisées, à condition que les populations qui en bénéficient soient aussi associées à la gestion des projets…
Résilience des territoires urbanisés
Beaucoup de défenseurs de l’agriculture urbaine avancent l’idée qu’elle réduit le nombre de kilomètres parcourus par les aliments, ce qui est notamment pertinent pour les produits supportant mal le transport (fraises, salades, etc.) Mis à part les produits transportés par avion, le transport ne représente qu’une petite partie de l’empreinte carbone d’un produit alimentaire (17 % contre 57 % pour la production selon le CGDD (2)) et une étude anglaise a montré que l’agriculture urbaine ne réduisait in fine les émissions liées à l’alimentation que de 0,4 % pour les consommateurs.
Par ailleurs, les bénéfices environnementaux de l’agriculture urbaine sont encore plus complexes à évaluer quand il s’agit de « fermes verticales » hydroponiques qui revendiquent une durabilité plus grande car elles utilisent beaucoup moins d’espace au sol, d’eau et de pesticides… tout en faisant croître les plantes plus rapidement. Or, ces nouveaux procédés hyper-technologiques visent une production quantitative qui pose question avec ses entrepôts peu qualitatifs, ses cultures sur substrat de plastique, éclairées par des rampes de LED et ses cocktails d’additifs tenus secrets.
Au fond, les bénéfices écologiques de l’agriculture urbaine sont peut-être moins immédiats. La nature en ville rend des services écologiques : régulation de la qualité de l’air (filtration des particules, production d’oxygène, absorption du CO2), lutte contre les « îlots de chaleur » (émission de vapeur d’eau), refuge pour la faune en surface, maintien de sols vivants, etc. A ce titre elle renforce la résilience des territoires urbanisés face aux chocs écologiques que sont les incertitudes climatiques, les inondations, la présence de ravageurs, l’amplitude thermique… La Ville de Paris ne s’y est pas trompée, son projet ParisCulteurs, pour une plus grande végétalisation de la vill, ambitionne d’avoir 30 hectares d’agriculture urbaine en 2020 (sur 100 hectares de végétalisation).
Enfin et surtout, l’agriculture urbaine reconnecte les consommateurs urbains à l’importance de leur alimentation, au rythme des saisons, au fait que ce qu’ils mangent a une histoire et que toutes les histoires ne se valent pas, à l’idée que c’est le savoir (savoir ce que l’on mange, d’où cela vient, qui et comment l’a cultivé) qui fait la saveur, à la difficulté aussi qu’il y a à faire pousser le moindre brocoli que l’on hésitera davantage, ensuite, à jeter sans y avoir touché. Au bout du compte, pour certains observateurs, cela pourrait bien être là l’effet le plus profond de l’agriculture urbaine.
(1) «Vacant lots to Vibrants plots » de Raychel Santo, Anne Palmer et Brent Kim, Johns Hopkins Center for a Livable Future, Mai 2016.
(2) Commissariat Général au Développement Durable.
Elisabeth Laville @Utopies @Mescoursespourlaplanete.com
Informations rapides sur l’auteur :
Elisabeth Laville est la fondatrice d’Utopies (premier cabinet français de conseil en développement durable, créé en 1993) et co-fondatrice de Graines de Changement, un laboratoire d'idées et de solutions innovantes à l'origine de plusieurs initiatives dont www.mescoursespourlaplanete.com et www.campusresponsables.com, ainsi que www.noscantinespourlaplanete.com. Elle est aussi auteur ou co-auteur de nombreux livres sur le développement durable, comme "L’entreprise verte" (2002) ou encore “Vers une consommation heureuse” (Allary Editions, octobre 2014).
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