14/03/2023
Solidaires et solides : les nouveaux modèles économiques de la restauration
La tribune d’Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies et administratrice de B LAB France.
Des gilets jaunes aux migrants, des SDF aux jeunes éloignés de l’emploi, les crises sociales ne manquent pas, et l’engagement de restaurateurs ayant pignon sur rue à y apporter des réponses n’est pas nouveau – comme en témoignent des pionniers comme, depuis 1991, le restaurant Delancey Street à San Francisco (vaisseau amiral de la fondation du même nom, créée par Mimi Silbert pour réinsérer par l’emploi d’anciens détenus), ou encore le projet Fifteen de Jamie Oliver ouvert à Londres en 2002 (pour former et insérer des jeunes de milieux défavorisés). Plus récemment citons aussi les écoles Cuisine Mode d’Emploi(s) créées en 2012 par Thierry Marx en France (elles proposent des formations gratuites pour adultes aux métiers de cuisine), la chaîne californienne Everytable, dont le fondateur Sam Polk, convaincu que l’accès à une nourriture saine est un droit humain fondamental, propose depuis 2013 ses menus à des prix différents selon les quartiers de Los Angeles et les capacités de paiement des habitants… ou encore les Cafés Joyeux qui proposent depuis 2017 des formations à des personnes majoritairement atteintes de trisomie 21 ou d’autisme.
Cette tradition est bien ancrée et très vivace comme le prouvent, ces derniers mois, de nouveaux restaurants qui placent eux aussi, de manière innovante, la solidarité au cœur de leur mission et de leur modèle économique. Ainsi, le République à Marseille, ouvert il y a un an, emploie fait se croiser des clients qui paient un prix classique et des personnes plus démunies, adressées par 90 associations partenaires, qui payent leur repas un euro symbolique (ils représentent un tiers des convives). Sur la lancée de son succès, le République vient d’annoncer 4 nouveaux concepts à venir au sein des différents espaces du restaurant de 1200 m2 – pour former les 30 salariés en insertion à différents types de restauration. Parmi ces concepts, un projet en partenariat avec une certaine « franchise parisienne prônant des valeurs inclusives » où les repas seront servis par une équipe de salle mal-voyante ou non-voyante. Autre modèle de solidarité où non seulement chacun paie ce qu’il peut, mais est aussi invité à donner de son temps, pour contribuer au fonctionnement du restaurant : Les Petites Cantines est un réseau de cantines de quartier participatives et durables, qui se développe d’Annecy à Issy, de Lille à Lyon en passant par Paris.
Inclusion
Retour à Marseille où le restaurant Les Beaux Mets vient d’ouvrir dans la prison des Baumettes, au sein de la Structure d’accompagnement vers la Sortie (SaS). Aux fourneaux et en salle, une brigade de trois professionnels est accompagnée de commis qui sont tous des détenus en fin de peine et en cours de formation, avec aussi des masterclass assurées par des chefs extérieurs. La Table du Recho est, de son côté, née d’un partenariat avec l’association Aurore, pour occuper temporairement une ancienne caserne de gendarmes dans le 16ème arrondissement de Paris. Celle-ci est devenue un restaurant d’insertion, où travaillent des personnes réfugiées, et où passe un public large – des personnes hébergées sur place aux gourmets du quartier. Aujourd’hui, l’association exploite deux autres restaurants à Paris, toujours sur un même modèle d’insertion de personnes réfugiées.
Enfin, le déjà cité et doublement étoilé Thierry Marx vient d’ouvrir début février, rue Saint-Honoré à Paris, Onor, son nouveau « restaurant gastronomique engagé » (et fermé le week-end pour préserver les vies privées de ses salariés) dont 20% de l’équipe est en insertion ou issue des écoles du Chef, historiquement engagé sur l’inclusion de personnes éloignées du marché du travail.
Gageons que ces modèles inspirants ne manqueront pas, très vite, d’essaimer dans la profession. En effet, ce n’est pas parce qu’un restaurant n’est pas « né solidaire » qu’il ne peut pas le devenir, en amont (personnel) ou en aval (clients) ! Il est possible, partout, d’intégrer un peu plus de solidarité aux façons de faire – par exemple en adoptant le désormais célèbre café ou repas suspendu, en développant l’arrondi solidaire en caisse ou en adoptant une approche plus inclusive du recrutement. Comme l’écrivait justement le philosophe Alain, « le secret de l’action, c’est de s’y mettre ».
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