23/11/2023
Et si la restauration recourait davantage aux nudges et aux sciences cognitives pour encourager le choix de menus meilleurs pour le climat ?
La tribune d’Elisabeth Laville, fondatrice d’Utopies et administratrice de B LAB France.
Recourir aux nudges pour encourager (y compris financièrement) le passage à l’acte du consommateur – en lui expliquant ensuite pourquoi il a fait le bon choix, histoire de « conscientiser » et de pérenniser le comportement en question plutôt que de sembler le manipuler à son insu. C’est ce que recommande le médecin, psychologue comportementaliste et expert des neurosciences Jacques Fradin, qui souligne la relative inefficacité qui consisterait à vouloir absolument convaincre le client rationnellement en amont, en lui parlant climat et émissions de CO2 en amont du choix – par exemple pour le convaincre d’abandonner les produits laitiers au profit des produits végétaux dont il n’aime souvent pas le goût.
Deux exemples hors restauration : La Parisienne Assurances (1) fut la première à proposer il y a quelques années une formule d’assurance auto aussi innovante qu’efficace, qui a fait école depuis, avec des réductions sur la prime quand le client s’engage à moins utiliser son véhicule – la formule comprenant même la prise en charge intégrale de l’abonnement à Vélib’ et un remboursement partiel du pass Navigo ou d’un abonnement RATP. Et le fournisseur d’énergie allemand Energiedienst GmbH, qui propose à ses clients trois tarifs différents dont un tarif par défaut « vert » et deux options alternatives (un tarif moins vert et moins cher de 8% ou un tarif encore plus vert mais plus cher de 23%), constate sans surprise que 94% des individus choisissent de conserver l’option par défaut contre seuls 4% qui ont basculé sur les deux autres options.
Dans la restauration aussi, les sciences cognitives peuvent apporter de nombreuses solutions pour travailler sur les enjeux climatiques et environnementaux. Parmi les leviers des neurosciences qui peuvent être mobilisés pour inciter les clients à faire le bon choix, sans leur « prendre la tête », voici ceux que recommandent les experts et leurs possibles applications en restauration :
– Simplifier l’information et visualiser l’impact, pour aider les gens à comparer et à faire leur choix, … – comme l’étiquetage carbone des menus, mis en place dès 2008 par l’enseigne leader du burger en Scandinavie Max Burgers.
– Rendre les recettes « bonnes pour le climat » intrinsèquement désirables, comme l’ont fait historiquement à force de créativité Cojean ou Wild & The Moon pour les recettes végétariennes… Mais aussi comme le fait Burger King en proposant des alternatives végétales de tous ses burgers sans concession sur le goût grâce à ses partenariats avec The Vegetarian Butcher ou Beyond Meat, deux entreprises spécialisées dans ces « produits de transition » qui imitent la viande qu’ils remplacent afin de faciliter, y compris dans l’image sociale, le passage au veggie… De son côté, Sodexo fait de ces options les premières visibles ou accessibles, encourageant ainsi les clients à les choisir.
– Proposer des prix moins chers pour les offres végétariennes ou climatiques, comme le fait Starbucks par exemple qui propose sans surcoût des laits d’avoine ou de soja en remplacement du lait de vache, et offre une réduction à ses clients qui viennent avec leur tasse.
– Proposer des points d’entrée multiples et différents vers les options végétariennes ou climatiquement responsables avec des recettes ou menus gourmands pour les gastronomes, protéinés pour les sportifs, nutritifs pour les enfants…
– Proposer des contenus (posts sur les réseaux sociaux, événements, animations, …) autour du « nouveau mode de vie » que l’on veut promouvoir au sens large, des autres dimensions que le végétal et la food, et de tout ce que les gens ont déjà réussi à changer… par exemple la mobilité douce et le vélo qu’on peut inciter les clients à utiliser.
– Eviter la radicalité, jouer le mélange et l’alternance entre le nouveau et l’ancien pour une transition en douceur : pourquoi pas des menus flexitariens (et moins chers) où la viande est toujours présente mais plus au centre du plat ? Voire un positionnement ouvertement pescétarien comme le propose le restaurant Persil à Paris ?
– Mettre d’abord en avant des promesses plus proches des consommateurs et de leur environnement direct (ex. santé, soutien des producteurs locaux) – voir à cet effet la « double pyramide » élaborée par Barilla qui montre que les meilleurs choix pour l’environnement le sont aussi pour la santé.
– Accompagner le changement des normes sociales par le collectif, le partage, la vie sociale : mettre en avant les recettes végétariennes ou les menus responsables à l’occasion d’événements engagés sur l’écologie (comme le Montreux Jazz Festival, We Love Green à Paris… ou les futurs JO)… ou via des partenariats avec les associations sportives, les clubs du 3e âge, etc.
– Proposer certains choix « par défaut », comme réduire les assiettes pour éviter le gaspillage alimentaire (très impactant sur le climat, quel que soit le contenu de l’assiette) ou ne donner de l’eau que sur demande … Autre exemple : l’Université Goldsmiths à Londres a retiré la viande de bœuf de son restaurant en 2019 pour lutter contre le changement climatique.
– Mobiliser des personnalités locales pas forcément connues pour leur engagement sur le végétal et le climat (artistes, sportifs…) dont le choix peut influencer celui des habitants des mêmes villes ou quartiers qui leur font confiance …
Enfin, il reste toujours possible et efficace d’impliquer ses clients fidèles, et de leur dire : « on aimerait changer et aller dans cette direction, voici pourquoi, peut-être que cela va vous coûter plus cher, voici les options qu’on explore : êtes-vous pour ou contre ? Est-ce que vous nous soutenez ? »
(1) Rachetée par Wakam en 2020.
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