10/06/2024
Le repas végétarien, l’expliquer pour le généraliser
Obligatoire dans les cantines de la restauration collective publique et dans les cantines scolaires privées, le menu végétarien se généralise. Mais il reste encore de gros efforts à fournir pour le valoriser et pour que son enjeu soit positif.
Par Nelly Rioux. Cet article a été publié dans le Magazine #12 de Restauration21 (mai 2024).
La loi Egalim, complétée par la loi Climat et résilience, a défini les obligations d’un plan pluriannuel de diversification pour les restaurants servant plus de 200 repas par jour. Ces lois ont imposé la mise en place de plats végétariens: un par semaine en restauration scolaire depuis le 1er novembre 2019 et une option végétarienne quotidienne dans les restaurants collectifs de l’État, ses établissements publics et dans les entreprises publiques nationales depuis le 1er janvier 2023 à condition qu’ils présentent habituellement un choix multiple de menus.
Les arguments en faveur d’un plat végétarien, c’est-à-dire qui admet les œufs et les produits laitiers, sont nombreux. L’ANSES reconnaît dans un rapport (avril 2022) qu’un repas végétarien en milieu scolaire peut contribuer « à la couverture de l’ensemble des besoins nutritionnels des enfants, à la condition qu’il soit équilibré et que l’offre végétarienne prenne mieux en compte l’intérêt des apports en légumineuses et en céréales complètes ». De son côté l’Ademe démontre que l’impact carbone d’un repas végétarien est bien moindre que celui d’un repas où il y a de la viande ou du poisson.
Lancée en 2021 par le ministère de l’Agriculture, l’expérimentation volontaire d’une option végétarienne quotidienne n’a pas eu beaucoup de succès. Les auteurs du rapport d’évaluation de cette opération ont souligné que « les résultats analysés ne sont que très partiels. Eu égard à la très faible représentativité de l’échantillon des répondants, ils ne permettent pas de tirer des conclusions probantes ». Ils ont néanmoins établi cinq recommandations qui pourraient selon eux favoriser la prise en compte d’une option végétarienne quotidienne en restauration collective (lire encadré p. 17).
Le scolaire engagé…
Le secteur scolaire fait figure de bon élève avec une fréquence raisonnable fixée à une fois par semaine. Certaines communes ont même été des précurseurs en généralisant quotidiennement cette proposition à la demande des parents. C’est le cas de Brétigny-sur-Orge (91) où le maire, Nicolas Méary (Horizons), en a fait un cheval de bataille dès son élection. En 2016 déjà, avec son prestataire d’alors, il a fait en sorte que les enfants puissent avoir le choix. « Disposer d’une alternative végétarienne quotidienne me semblait la meilleure réponse républicaine à apporter à mes concitoyens. Elle remplaçait les repas « sans porc » et répond aussi aux particularismes alimentaires, régimes spécifiques ou simplement philosophie de vie, à l’heure où l’alimentation a pris une place centrale dans la société » dit-il. 2400 repas par jour sont servis dans les 18 cantines de la ville. « Si les débuts ont été timides, 27 % des repas sont désormais végétariens. Cet objectif a nécessité la mise en place d’outils numériques afin que les parents puissent préréserver les repas de leurs enfants ». Aujourd’hui, le prestataire a changé et les équipes municipales s’attachent surtout à respecter la loi Eglim tout en maintenant un coût raisonnable pour les familles.
À compter de la rentrée 2024, la Ville de Saint-Denis (93) servira un menu végétarien 3 fois par semaine. Un engagement pris « dans le cadre de Mon Restau responsable, une démarche à laquelle nous adhérons depuis maintenant 6 ans et en matière de restauration scolaire. La ville de Saint-Denis a une politique inédite puisque la cantine sera gratuite pour tous les élèves en septembre », explique Mickaël Dubois, responsable de la cuisine centrale autogérée de la ville qui produit 9000 repas par jour. « Depuis que nous avons introduit, dès 2018, un repas végétarien une fois par semaine, puis deux à partir de 2020, nous avons constaté qu’un nombre plus important d’enfants fréquentait la cantine ». Pour parvenir à ce résultat, Mickaël Dubois a fait appel à Cap Veggie, un organisme de formation professionnelle spécialisé dans la cuisine végétale. « Nous les avons choisis parce qu’ils proposaient d’intervenir directement dans notre cuisine pour préparer les recettes avec nos équipes et avec nos équipements. Car, c’est bien beau de suivre une formation à l’extérieur mais une fois que l’on revient et que l’on se retrouve face à des marmites de 300 litres, c’est assez difficile de les reproduire correctement dans les quantités dont on a besoin ».
Le retard des collèges
L’enquête réalisée par l’AVF (Association Végétarienne de France) dans les collèges et les lycées français en février dernier montre que près de 40 % des établissements du secondaire n’appliquent pas Egalim, en particulier les collèges, et ne proposent pas systématiquement de menu végétarien hebdomadaire. Seul un quart des établissements vont au-delà des exigences et servent aujourd’hui plus d’un menu végétarien par semaine. L’enquête note que les principaux obstacles à l’introduction du menu végétarien relèvent à la fois de difficultés matérielles et techniques et d’un manque de moyens humains et financiers. Les chefs citent aussi les mauvaises habitudes alimentaires des familles (produits ultra-transformés, peu de légumes et légumineuses), le temps nécessaire pour changer les mentalités et les habitudes, la mauvaise qualité des produits végétaux industriels de substitution, l’attachement culturel aux produits carnés, les menus imposés par les sociétés externes en cas de gestion déléguée.
De nombreux arguments qui freinent le déploiement du repas végétarien même si des SRC se démènent pour aller plus loin. Chez Restoria, entreprise à mission depuis 2021, l’un des objectifs est de « développer et rendre accessible une alimentation toujours plus saine et plaisante ». 18,82 % des plats préparés sont végétariens et la société de restauration vise les 20 % sur 2023-2024. « Nous poursuivons la végétalisation des menus avec le déploiement progressif de 3 repas végé sur deux semaines dans l’enseignement. Et bien que ce soit un levier important de réduction d’émission de CO2, cela reste très difficile de convaincre nos clients. En septembre 2023 ils ont refusé notre offre » indique le président, Emmanuel Saulou.
Rendre les recettes plus séduisantes
Si en primaire, le menu végétarien s’est davantage généralisé, il nécessite encore de nombreux ajustements. C’est ce que révèle l’étude « Cantines Révolution » que l’Association de l’Alimentation Durable a réalisée avec l’IFOP. 933 familles avec des réponses en binôme, parents/enfants, y ont répondu. Marie-Pierre Membrives qui a porté cette étude précise: « 80 % des parents donnent la priorité à la qualité et à l’équilibre nutritionnel pour les repas de leurs enfants à la cantine et 69 % d’entre eux ont noté que le plat végétarien était bien au rendez-vous une fois par semaine. 60 % estiment que c’est tout à fait suffisant tandis que 27 % (dont 32 % de CSP +) trouvent cette cadence insuffisante. 10 % ont noté que, dans la cantine fréquentée par leur progéniture, le plat végétarien pouvait être de mandé quotidiennement sur réservation ». Elle relève qu’encore trop d’enfants n’aiment ni les légumes cuits, ni les repas végétariens qui leur sont servis (39 %) mais que les filles sont plus enclines à apprécier ces catégories d’aliments. « Il faudrait rendre ces recettes plus séduisantes pour les enfants par leur exécution, leur présentation et les explications qui les accompagnent car face à cette situation, les enfants mangent du pain en remplacement des repas qui leur sont servis (68 %) et le gaspillage augmente. On est encore loin d’une école du goût, lieu de découverte de plats simples, sains et savoureux. Parents et enfants doivent être au cœur des réflexions ».
Mickaël Dubois reconnaît qu’il faut encore faire des efforts notamment sur l’aspect visuel: « Un hachis parmentier de lentilles n’est pas spécialement appétissant et le rôle des animateurs dans les cantines est alors primordial. Ce sont eux qui doivent présenter les plats aux enfants et les inviter à goûter. Car une fois cette étape franchie, le plat est adopté. Les retours que nous avons sont très positifs et nous sommes prêts pour l’échéance de la rentrée ». Pour autant, le responsable de la cuisine centrale de Saint-Denis n’a pas constaté de baisse de son budget alimentaire : « au contraire, il augmente car nous achetons plus de produits de qualité dont beaucoup de produits bio pour répondre à Egalim » dit-il.
Pourtant, les intentions sont nombreuses avec pléthore d’associations qui se mobilisent sur la question des repas végétariens. Assiettes Végétales est sans doute la plus dynamique avec son partenaire formateur Cap Veggie et son label Assiettes vertes, gratuit, qui atteste qu’un service de restauration collective montre l’exemple d’une alimentation durable en mettant les aliments d’origine végétale au coeur de son menu. Depuis sa création en 2021, Assiettes Végétales a labellisé 23 établissements de la restauration collective dont des villes qui gèrent la restauration scolaire (primaire) , des collèges et lycées, des Crous, et des restaurants gérés par des SRC.
Valoriser les céréales et les légumineuses
Gilles Daveau, formateur, spécialiste de la diversification alimentaire depuis 30 ans, résume bien l’enjeu de ces menus végétariens qui, pour lui, ont comme principal défaut d’être imposés sans qu’il y ait au préalable une formation pour expliquer les enjeux du végétal. « Il est prioritaire d’expliquer aux cuisiniers, à l’encadrement, aux élus, aux éleveurs, aux convives et acteurs du territoire, que la végétalisation vise à enrichir en diversité les repas des cantines notamment avec les céréales et des légumineuses: c’est la clé pour changer les habitudes et méthodes qui ont cours dans les cantines » dit-il. Pour lui, cuisiner des recettes à base de céréales et de légumineuses c’est utiliser ces produits comme des matières culinaires qui permettent de réaliser des recettes mais aussi des sauces ou des pâtisseries. « Il faut apprendre le langage de ces produits, il y a des bases à connaître qui peuvent ensuite se décliner à l’infini. Mais ça ne s’arrête pas à la cuisine, il faut aussi l’envisager sous l’angle pédagogique avec les convives » dit-il. Il est aussi convaincu que cette cuisine alternative peut redonner à la viande son statut d’aliment noble, « en manger moins mais de meilleure qualité ». Il milite pour que la diversification des sources de protéines devienne un nouvel horizon ouvrant de nouvelles perspectives aux élus comme aux cuisiniers, « tout le monde s’en portera mieux, au sens propre et figuré, les territoires, les éleveurs, les gestionnaires, les personnes et les familles… ».
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