04/11/2024
Entreprise à mission, la nouvelle boussole ?
Encore peu répandu, le modèle de l’entreprise à mission séduit de plus en plus d’acteurs de la restauration.
Article écrit par Alexianne Miliani et publié dans le Magazine #13 de Restauration21
Introduit par la loi Pacte en 2019, le modèle d’entreprise à mission impose une révision des statuts pour y inscrire des objectifs sociaux et environnementaux ainsi qu’une évaluation par un Organisme Tiers Indépendant (OTI) pour garantir la sincérité de la démarche. Pour des enseignes de la restauration, déjà investies dans des démarches RSE, ce statut apparaît comme une suite logique. Que leur apporte-t-il de plus? Restauration21 a posé la question à 3 chefs d’entreprise ayant franchi le cap.
S’inscrire dans la durée
Pour Emmanuel Saulou, dirigeant de la société de restauration collective Restoria, cette démarche s’inscrit naturellement dans la continuité. « Nous avons entamé nos actions dès 2006 à la suite d’une prise de conscience profonde des enjeux », explique-t-il. Depuis, Restoria a déployé de nombreuses initiatives environnementales ou sociétales et en 2021, les statuts sont modifiés pour y inscrire une raison d’être: « Cuisiner chaque jour pour la santé et le plaisir de tous, et choisir ensemble une alimentation qui préserve la terre nourricière ». « C’est bien parce que la raison d’être est statutaire et donc opposable juridiquement que Restoria a fait le choix de devenir ainsi une société à mission, insiste le chef d’entreprise, cela permet d’ancrer notre philosophie dans l’ADN de l’entreprise ».
Définie dans l’article 1835 du Code Civil, la raison d’être est « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect des quels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. Elle explicite l’identité et la vocation de l’entreprise et éclaire son passé et son futur ». De la même manière, Jérôme Lemouchoux, CEO de FoodChéri (société à mission depuis janvier 2024) perçoit ce statut comme un moyen de pérenniser l’engagement de l’entreprise: « un gage de continuité et de sérieux, garantissant que la politique RSE de l’entreprise ne dépend pas uniquement des personnes à la tête de celle-ci ». Dès lors, la raison d’être de l’enseigne est claire: « Concevoir, cuisiner et livrer des repas savoureux, sains et durables ». Quant à la chaîne de sandwicheries Picto, le passage à une société à mission en 2023 a permis d’officialiser ses engagements: « Proposer une expérience de restauration rapide artisanale à la française, naturelle et authentique » présente Guillaume de Murard, le cofondateur, qui précise: « Nous voulons que chaque élément de notre offre reflète notre engagement envers une alimentation responsable. »
Perfectionner sa démarche
Ces entreprises à mission doivent également intégrer des objectifs associés dans leurs statuts pouvant inclure « un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité », selon l’article L210-10 du Code du Commerce. Chez Restoria, les objectifs se déclinent en 4 engagements et contributions au bien commun dont celui de partager les fruits de son activité en prenant soin de ses collaborateurs et en contribuant à une société plus solidaire et inclusive. FoodChéri propose 3 objectifs comme offrir une carte
savoureuse, nutritionnellement équilibrée, favorisant le végétal et respectant la saisonnalité. Quant à Picto, l’entreprise entend promouvoir la culture culinaire en utilisant des recettes classiques du répertoire gastronomique français. En découle pour chacune d’elles une feuille de route où les objectifs statutaires sont traduits en objectifs opérationnels précis et vérifiables, avec des actions concrètes à réaliser, fruits d’une longue réflexion menée bien en amont. Ainsi, le label Lucie a servi de fondation solide. Basé sur la norme ISO 26000, il a permis à l’entreprise de structurer sa démarche de responsabilité sociétale depuis plusieurs années. De son côté, FoodChéri avait déjà cultivé une forte culture d’entreprise en mettant notamment en place un comité de mission interne. Chez Picto, les deux fondateurs ont décidé de s’appuyer sur la méthode du label Ecotable qui certifie la chaîne depuis 2020. « Nous avons adapté ces indicateurs à nos objectifs spécifiques d’entreprise à mission », précise le cofondateur.
S’évaluer collectivement
La société à mission repose sur une démarche collective essentielle. « Cela nous a permis de rédiger une raison d’être qui résonne en chacun », souligne Emmanuel Saulou. Chez FoodChéri, la mission a été co-construite avec toutes les parties prenantes, internes comme externes. Quant à Picto, ils ont réalisé un sondage en demandant par l’absurde: « Picto ne serait plus Picto si? » Le travail de l’OTI est également crucial dans cette dynamique collective. Tous les 18 mois, il donne une appréciation pour chaque objectif statutaire, en évaluant les moyens alloués pour les respecter et leur adéquation au regard de l’évolution des affaires ainsi que les résultats atteints. Aussi faut-il fixer des objectifs suffisamment ambitieux pour qu’ils constituent un véritable défi, sans quoi ils perdent toute signification. Toutefois, certains choix peuvent parfois être incompris du côté des clients. « Nous avons certains de nos clients finaux [les convives] qui sont réticents à l’idée de réduire leur consommation de viande », illustre le dirigeant de Restoria. Quant aux clients signataires, certains rechignent face aux surcoûts engendrés par Egalim ou par des propositions privilégiant le bio. Des freins qui n’entachent nullement la détermination de ces acteurs de la restauration qui optent pour le modèle de l’entreprise à mission. Bien qu’aucune jurisprudence n’ait à ce jour été établie concernant des sociétés qui ne respecteraient pas leurs engagements, ce modèle à leurs yeux renforce la transparence, engage dans la durée et favorise un dialogue constructif et collectif.
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